L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec
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L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec

L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec

Yann Gourvennec, fondateur de Visionary Marketing, coauteur du Marketing digital de @ à Z.

Responsible Growth : Prises en ciseaux entre une multitude de contraintes économiques, technologiques, réglementaires, et leurs aspirations pour une gouvernance responsable, les entreprises se cherchent …

Yann Gourvennec : La période n’est pas simple. D’une part, un impératif écologique qui paraît maintenant largement démontré. Il se pourrait même qu’il soit admis, en partie, par la population et reconnu par certains chefs d’entreprise. De l’autre côté, la nécessité d’agir.

Les résistances cependant sont encore nombreuses, y compris du côté des chefs d’entreprise, comme l’a souligné un incident intervenu[1] lors de La REF en septembre dernier entre Patrick Pouyanné et Jean Jouzel. Énervé, ce dernier a déclaré « À la fin, j’en ai marre », à l’issue de ce que Le Monde a qualifié après coup d’un « accueil glacial ». Celui-ci ne suffira pas, malheureusement, à corriger le bien mal nommé réchauffement climatique. 

À la base de ces querelles, on trouve le système économique dans lequel nous évoluons. Sans jugement politique, celui-ci ne permet pas de changer la logique des entreprises. Qu’on le veuille ou non, une entreprise doit faire un bénéfice et pour faire ce bénéfice elle doit dégager de la croissance. Et comme l’expliquait, en substance, Tim Jackson sur France Culture le 27 mars 2024, « les êtres humains adorent la croissance ». 

Car une entreprise qui fait des pertes pendant trop longtemps est condamnée à disparaître, sans fonds elle est forcément placée en cessation de paiement. Le chef d’entreprise, même investi fortement dans les questions d’environnement comme cela est mon cas, est soumis à cette loi et ne peut décréter seul un fonctionnement différent[2]

Que cette croissance soit responsable est une autre affaire, mais aussi un vrai dilemme.

Jean-Marc Jancovici, auteur avec Christophe Blain d’une célèbre BD[3], répète à juste titre qu’il n’y a pas de croissance durable[4]. Un autre auteur, Jean Baptiste Fressoz, historien de l’énergie, vient de mettre un terme à nos dernières illusions sur ce point en détaillant pourquoi la transition énergétique n’aura pas lieu[5].

Il y a donc hiatus entre la nécessité de changer d’un côté pour préserver l’environnement dans lequel l’entreprise évolue, et sans lequel elle mourra un jour, et de l’autre côté la nécessité d’avancer toujours plus pour pouvoir perpétuer une réalité économique qui est également en résonance avec un monde incroyablement connecté.

Un système mondial extrêmement complexe, mais dont Antoine Buéno a décrit l’incroyable résilience. Toutes nos entreprises sont ainsi liées entre elles au sein de ce système qui finalement, quoi qu’on en dise, fonctionne assez bien d’un point de vue économique et est surtout très résilient.

C’est bien là le drame, l’incroyable résistance de ce monde devenu fou depuis si longtemps. Nous portons tous la responsabilité de l’état dans lequel nous l’avons mis. Pourtant, comme l’écrit Buéno, il « ne va pas (probablement) pas s’effondrer[6] (aussi vite qu’on croit) ».

En fait le vrai problème, et c’est Buéno encore qui le souligne dans son livre, c’est que l’urgence — qui d’ailleurs n’est pas que climatique, mais environnementale, et va bien au-delà de la simple mesure du CO2 et qui touche tous les domaines de la vie et donc de l’économie — toute cette urgence n’en est pas une. À savoir que, même si la situation est catastrophique, le monde ne s’écoulera pas demain. Il lui faudra des centaines d’années, probablement. Et quand nous nous réveillerons, il sera peut-être trop tard.

Trop tard, mais pas pour la planète qui n’est pas vraiment en danger et qui saura se débarrasser de ses parasites humains. Ni même pour celui qui vous parle ou vous qui me lisez, mais plutôt nos descendants dans des centaines d’années, le temps qu’il faudra pour les calottes polaires de fondre complètement[7] et de faire monter les niveaux des eaux de manière conséquente en changeant le climat de manière irréversible[8].

Cette « recherche » à l’intérieur des entreprises que tu mentionnes dans ta question est donc bien compréhensible.

Ensuite, ces entreprises sont aussi prises en tenaille, tu as oublié de le mentionner dans ta question, par les désirs contradictoires de leurs clients (B2B) et consommateurs (B2C). Ceux-là qui veulent plus de nature tout en achetant plus de voitures et en réclamant plus d’autoroutes (gratuites de préférence) et de l’essence moins chère. Ils exigent de la sobriété, surtout des autres, mais achètent en masse sur Shein et Temu.

Car pour changer véritablement, il faut que les clients eux-mêmes changent, en profondeur, de comportement. Or, qui voudrait vivre ne serait-ce que comme nos grands-parents ? Probablement personne sans doute, hormis quelques Spartiates.

D’où l’invention de concepts plus ou moins crédibles à base de solutionnisme technologique et de phrases toutes faites du style « développement durable » ou « transition énergétique » qui permettent de gagner du temps sur les décisions, tout en maintenant plus ou moins bien le rythme de la croissance, sans véritablement chercher à régler le problème.

Sans sentiment d’urgence absolue, les changements seront longs et difficiles à mettre en place.

Dernier livre conseillé et non des moindres, le macroscope de Joël de Rosnay. Un ouvrage qui décrit les questions d’aujourd’hui, mais qui a été écrit en 1976 et que j’ai découvert en école de commerce (sic !) Comme quoi on se cherche depuis un bon moment et cette recherche n’est pas près de finir.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/13/entre-jouzel-et-pouyanne-la-puissance-publique-doit-choisir_6189107_3232.html#

[2] On omettra quelques contre exemples de l’ESS qui méritent d’être encouragés mais qui ne sont pas à la portée de tous.

[3] Livre le plus vendu de l’année 2023, il doit y avoir là un signe https://www.radiofrance.fr/franceinter/comment-la-bd-un-monde-sans-fin-est-devenu-le-livre-le-plus-vendu-de-l-annee-3210157

[4] https://www.linkedin.com/posts/jean-marc-jancovici_il-y-a-de-nombreux-domaines-dans-lesquels-activity-7178295841428758528-y2yb?utm_source=share&utm_medium=member_desktop

[5] Fressoz, Jean-Baptiste. Sans transition. Seuil. 2024

[6] Buéno, Antoine. L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu. Flammarion. 2022

[7] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/oceanographie-video-fonte-calottes-polaires-enfin-estimation-precise-43122/ le rapport du GIEC prévoit une augmentation maximale du niveau de la mer d’un mètre en 2100. Ce n’est pas assez pour faire naître un sentiment d’urgence dans la population qui a d’autres chats à fouetter comme le prix de l’essence ou du gaz naturel par exemple…

[8] À moins qu’une autre catastrophe vienne infléchir le climat dans l’autre sens, comme cela est arrivé avec des éruptions volcaniques par le passé, éruptions elles-mêmes agravées par la disparition des calottes neigeuses sur les sommets des volcans. Un système complexe comme le climat ne peut se résumer à quelques paramètres et est soumis aux aléas. À écouter, sur France Culture cette émission passionnante : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/haroun-tazieff-1914-1998-au-plus-pres-des-volcans-8493880  

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