L’entreprise responsable, vue par François Cazals
François Cazals est professeur adjoint à HEC Paris et spécialiste de stratégie et d’innovation.
Responsible Growth : Prises en ciseaux entre une multitude de contraintes économiques, technologiques, réglementaires, et leurs aspirations pour une gouvernance responsable, les entreprises se cherchent …
François Cazals : Les entreprises se retrouvent indéniablement dans une situation complexe. Elles sont, pourrait-on dire, prises en ciseaux entre diverses pressions qui exigent d’elles non seulement d’adapter leurs modèles opérationnels, mais aussi de reconsidérer leurs fondements stratégiques. Face à cette complexité, il devient crucial pour ces entités de revisiter et de renforcer le sens, les valeurs et la philosophie qui sous-tendent leur stratégie. Ce n’est qu’en ayant une boussole morale et éthique claire que les entreprises peuvent espérer naviguer avec succès dans le monde VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu).
Parallèlement, l’incertitude qui caractérise notre époque rend la prise de décision stratégique encore plus délicate. Il devient impératif de s’appuyer sur des faits stables et indiscutables. Le réchauffement climatique, par exemple, n’est pas une simple variable parmi d’autres ; c’est une réalité scientifique qui impacte déjà de manière significative l’environnement opérationnel des entreprises.
En somme, face à la complexité, il est essentiel de travailler le sens et d’affermir les valeurs qui guident l’action stratégique. Cela nécessite une réflexion profonde sur la raison d’être de l’entreprise et sur la manière dont elle peut contribuer positivement à la société. Face à l’incertitude, il convient de s’ancrer dans la réalité et de s’appuyer sur les faits stables, permettant ainsi de concevoir des stratégies à la fois ambitieuses et ancrées dans les réalités du monde. Ce double mouvement – vers l’intérieur pour clarifier le sens et vers l’extérieur pour s’aligner sur les faits indéniables – est, à mon avis, la seule voie viable pour les entreprises qui cherchent à prospérer dans un monde en rapide évolution.
Responsible Growth : Il y a encore quelques années, le digital semblait fixer le cap … mais aujourd’hui : comment résoudre le problème délicat de la prospective ?
François Cazals :Il est indéniable que le digital a, pendant un certain temps, été perçu comme la boussole ultime pour les entreprises en quête de direction future. Cependant, l’accélération des innovations technologiques et la volatilité de notre environnement global nous confrontent aujourd’hui à une réalité indéniable : notre incapacité à prévoir le futur avec précision. Cette prise de conscience n’est pas un aveu de faiblesse, mais plutôt une invitation à repenser notre manière d’aborder la prospective et la stratégie.
Dans ce contexte changeant, il est crucial pour les entreprises de passer d’une approche causale de la stratégie, prédictive et planificatrice, à une approche effectuale. Cette dernière est fondamentalement adaptative et orientée vers la transformation des modèles d’affaires existants. L’approche effectuale met l’accent sur l’expérimentation, la flexibilité, et la capacité à tirer parti des opportunités émergentes, même en l’absence d’une vision claire de l’avenir. Elle suggère que plutôt que de chercher à prédire l’avenir, les entreprises devraient se concentrer sur la création de cet avenir, en utilisant les ressources et les compétences dont elles disposent dès maintenant.
Par ailleurs, la notion d’antifragilité, popularisée par Nassim Nicholas Taleb, est particulièrement pertinente dans notre ère marquée par les cygnes noirs – ces événements imprévisibles qui ont des impacts majeurs. Devenir antifragile ne signifie pas seulement résister aux chocs ou se maintenir stable face à l’adversité, mais plutôt se renforcer et tirer profit des désordres et des incertitudes. Pour les entreprises, cela implique de développer des systèmes et des stratégies qui non seulement survivent aux chocs, mais qui s’améliorent grâce à eux. Cela nécessite une culture d’entreprise qui valorise l’apprentissage continu, l’adaptabilité, et la capacité à réagir rapidement aux changements.
Responsible Growth : Dans ce contexte, quelle place pour une entreprise réellement responsable ?
Être une entreprise responsable n’est plus une option, mais une nécessité absolue. Cet impératif découle non seulement de la prise de conscience croissante de l’impact des activités humaines sur la planète, mais aussi de l’évolution des attentes des parties prenantes. Les clients, de plus en plus sensibles aux enjeux de développement durable, exigent des marques qu’elles adoptent des pratiques éthiques et respectueuses de l’environnement. Parallèlement, attirer et retenir les talents dans un contexte hautement compétitif requiert une image d’employeur responsable et engagé.
Cependant, il est crucial de ne pas tomber dans un angélisme naïf. Être une entreprise responsable ne signifie pas se détourner de la création de valeur. Au contraire, il s’agit de reconnaître que la valeur économique, bien que centrale, n’est pas l’unique dimension à considérer. Une entreprise véritablement responsable intègre dans son modèle d’affaires la création de valeurs sociales et environnementales. Cela implique de contribuer de manière positive à la société et à la planète, en allant au-delà du simple respect des réglementations en vigueur pour s’engager activement dans la recherche de solutions aux grands défis de notre temps.
Adopter une telle posture ne se résume pas à une série d’initiatives isolées ou à des actions de communication destinées à embellir l’image de marque. C’est, au fond, embrasser une approche stratégique unifiée et systémique, où chaque décision et chaque action de l’entreprise sont filtrées à travers le prisme de la responsabilité. Cela signifie intégrer pleinement les principes de durabilité et de responsabilité sociale dans la stratégie globale de l’entreprise, en s’assurant que ces principes soient alignés avec les objectifs à long terme et les valeurs fondamentales de l’organisation.
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