L’entreprise responsable, vue par Séverine Enjolras
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L’entreprise responsable, vue par Séverine Enjolras

L’entreprise responsable, vue par Séverine Enjolras

Séverine Enjolras est socio-anthropologue de l’innovation et consultante, documentariste, enseignante en master 2 RSE à Cergy Paris Université – CY Tech

Responsible Growth : Prises en ciseaux entre une multitude de contraintes économiques, technologiques, réglementaires, et leurs aspirations pour une gouvernance responsable, les entreprises se cherchent …

Séverine Enjolras : Dans mon métier d’anthropologue de la consommation et de l’innovation, les mêmes enjeux et injonctions paradoxales s’observent chez les consommateurs. Entre désir de concilier prix accessible, produit ou service à impact positif et plaisir d’une expérience singulière, les consommateurs sont finalement aussi tiraillés entre leurs contraintes de pouvoir d’achat et le désir d’inscrire leur consommation dans un cycle plus vertueux. Les entreprises multiplient les nouveaux statuts : entreprises à mission, entreprises responsables, …avec des discours parfois ésotériques, voire quasi messianiques et donc peu lisibles ou crédibles pour les clients finaux.

Ce qui est assez transversal aux études que je mène, c’est la quête de cohérence pour les consommateurs, que le discours de la RSE, les valeurs portées par l’entreprise soient concrètement incarnés, quitte à ce que ce soit une politique de « petits pas » mais qu’elle soit suffisamment lisible pour être appropriée. C’est comme s’il y avait une attente de l’entreprise comme role model et tant qu’elle ne l’est pas alors les consommateurs continuent eux-mêmes à être dans des paradoxes permanents. On note que certaines entreprises s’inscrivent clairement dans une économie plus respectueuse de l’environnement, voire régénérative au sens où la production même pourrait avoir un impact positif sur le vivant au sens large. Patagonia bien sûr a été pionnière en matière d’éco-responsabilité, avec un engagement qui se poursuit en faveur de l’agriculture régénératrice.

On compte aussi Mustela par exemple qui a annoncé l’arrêt de la vente des lingettes jetables pour bébé en 2027. Ce qui semble assez évident, c’est qu’il faut changer d’échelle, que les entreprises considèrent l’échelle micro-sociale, l’impact socio-environnemental en prenant en compte les dynamiques locales. Agir sur un territoire, attirer sa communauté dans son magasin physique,… le fonctionnement des communautés a par définition besoin d’affinités sensibles qui ne se joueront pas uniquement off line et sur les réseaux sociaux. Il va falloir changer d’échelle, considérer que le consommateur est une partie prenante en tant que telle de l’écosystème de la marque. Par ailleurs, les mutations technologiques sont telles et le développement de l’IA si rapide que les consommateurs vont en quelque sorte reprendre la main à partir de l’expression/prompt de leur besoin très personnalisé, détourner les codes des marques, créer des communautés ad hoc selon des logiques qui nous échappent pour l’heure. On parle beaucoup des dangers de l’IA en matière de protection des données pour les consommateurs mais pour les entreprises, le défi réside surtout à faire du marketing auprès des robots, à être repéré par le robot. Pour cela, il faudra segmenter son offre de façon fine selon les besoins et les usages des consommateurs. Je peux déjà demander à chat GPT de me conseiller un modèle et marque de basket adaptée à la forme de mes pieds, qui aura telle caractéristique et correspondra à l’usage x ou y que je veux en faire. Face à cette course technologique, les marques devront aussi renforcer leur identité, leur posture et leurs valeurs spécifiques au risque d’être sinon noyées dans la masse en termes d’image.

Responsible Growth : Il y a encore quelques années, le digital semblait fixer le cap … mais aujourd’hui : comment résoudre le problème délicat de la prospective ?

La prospective court actuellement derrière des futurs « désirables ou souhaitables ». Ces expressions sont assénées à l’envi…En tant qu’anthropologue, je me méfie des approches normatives en la matière et je m’inquiète du manque de diversité dans la prise en compte de ces « futurs souhaitables ». Je pense qu’il est peut-être bon de ne pas se précipiter à analyser…et encore moins à prédire alors que tout est mouvant et que les mutations technologiques ont un impact rapide sur nos pratiques dans tous les domaines. Je retiens deux approches qui me semblent vertueuses. Tout d’abord celle du design fiction qui lorsqu’il est mené dans une optique résolument critique (au sens d’une capacité au doute, à la réflexivité et au débat) permet d’interroger nos catégories morales, notre seuil d’acceptabilité et pose ainsi des scénarii du futur qui permettent aux entreprises de travailleur leur vision, leur socle de valeurs et d’insuffler cette vision critique aux équipes. S’interroger, douter me semble très vertueux. Deuxièmement, je pense qu’il y a un intérêt à travailler également sur la diversité des imaginaires et usages émergents, notamment dans les contre-cultures, à cerner qui se joue dans les marges qui inventent, bricolent ou « braconnent » culturellement comme disait Michel de Certeau. Cette deuxième vision de la prospective, je la conduis avec Adeline Attia, du cabinet UBTrends, via des Inspiramas, études de contexte et veilles prospectives ad-hoc. Nous tentons toujours de décrypter les signaux faibles dans les différentes cultures, à une échelle internationale, en ayant à cœur de comprendre les évolutions historiques de certains mouvements, concepts tout en étant attentives à ce qui se joue dans les contre-cultures

Responsible Growth : Dans ce contexte, quelle place pour une entreprise réellement responsable ?

Une entreprise responsable doit déjà être pleinement responsable des récits qu’elle construit et véhicule, ça signifie s’essayer à la cohérence, ne pas changer le discours au gré des tendances parfois éphémères ou versatiles. Il y a donc un intérêt à s’interroger sur son patrimoine culturel j’ai envie de dire : qu’a-t-elle construit ? D’où vient-elle ? Et où a -t-elle envie d’aller ? Pas seulement du point de vue de son business mais de sa culture au sens large, celle de ses produits, services, clients et collaborateurs. Il est évident aujourd’hui qu’il faut appliquer la symétrie des attentions au client tout autant qu’au collaborateur. Au-delà, il y a aussi une symétrie des intentions à respecter : que les paroles et les actes de l’entreprise convergent car les postures contradictoires peuvent être sanctionnées assez vite par les citoyens. 

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