L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec – suite
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L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec – suite

L’entreprise responsable, vue par Yann Gourvennec – suite

Responsible Growth : Il y a encore quelques années, le digital semblait fixer le cap … mais aujourd’hui : comment résoudre le problème délicat de la prospective ?

Yann Gourvennec : Certes, l’Internet des débuts, hérité des hippies et des libertariens de la vallée californienne et qu’on retrouve dans divers écrits du marketing comme le Cluetrain manifesto nous a fait croire en un nouveau système, une nouvelle façon de penser qui allait bien au-delà de l’économie.

En quelque sorte, elle touchait même au sujet de ta première question. Comment, pensait-on dans les années 90 par exemple, le télétravail ou les bureaux de proximités allaient-ils aider à résoudre les problèmes de pollution et d’encombrement des axes routiers ? Comment aussi, allait-on rendre le marketing plus respectueux, plus ouvert, plus vertueux tout en étant plus concurrentiel ? C’était une période d’utopie, porteuse d’espoirs.

Nous y avons cru nous aussi et y avons participé. Nous avons créé des contenus, offert des idées et participé à des débats. Puis, peu à peu, la logique économique s’est imposée, les systèmes ouverts se sont refermés, les trusts d’hier (Carnegie et al.) sont devenus les monopoles de fait d’aujourd’hui, les chemins de fer ayant été remplacés par les « autoroutes de l’information ».

Un groupe d’auteurs, dont tu fais partie, a d’ailleurs publié un livre collectif chez Kawa en 2020[1]. Sans doute que la date de sortie était mal choisie mais cela n’explique pas tout. L’écho dans le public pour ces écrits nostalgiques est faible.

Autre déception, le livre de Jonathan Zittrain qui traitait pourtant du sujet essentiel de la net neutralité, The Future of the Internet[2], a fini offert en PDF sur Internet. Mes tentatives d’alerter certains opérateurs télécoms sur ce sujet ont fini en rapports sur les étagères poussiéreuses des mauvaises idées qu’il convient de combattre et enfin, quand on demande aux utilisateurs de changer leur moteur de recherche du fait de sa position dominante, au mieux nous récoltons un haussement d’épaules, au pire nous nous faisons traiter d’imbécile.

Là encore, comme pour la question précédente, les utilisateurs ont voté avec leurs souris. Leur horizon est balisé par quelques acteurs majeurs des technologies — et dont l’excellence ne peut être niée — par la facilité et non par le choix ni le respect.

Il n’y a pas de demande pour cela.

Cela me rappelle le film Traffic de Soderbergh quand Michael Douglas souligne que l’on peut essayer de lutter contre les trafiquants de drogue, mais que tant qu’il y aura des consommateurs, il y aura aussi des vendeurs qui leur offriront leurs services.

Les consommateurs d’Internet ont cessé d’être des acteurs, ils sont passifs et nourrissent les plateformes, et maintenant ils alimentent OpenAI et ses clones. Ils râlent contre les « Gafam », un acronyme idiot qui mélange tout et n’importe quoi, mais ce sont eux les vrais responsables.

Dans ce contexte, la seule perspective à offrir est celle qui consiste à agir sur les consciences. Il y a du travail.

Responsible Growth : Dans ce contexte, quelle place pour une entreprise réellement responsable ?

Yann Gourvennec : En conclusion de ce qui précède, les déclarations d’intention et de bonne volonté sont louables et bien entendu que chaque petit effort est le bienvenu. Mais le changement viendra des consommateurs, des clients et de la pression qu’ils mettent aux entreprises, mais aussi de l’urgence perçue de la menace. Et enfin du changement du système, un changement dont on n’aperçoit pas encore les prémices et qui est au cœur de débats stériles pollués par les idéologies. 

Si l’on se laissait aller, on pourrait dire que tous les ingrédients sont là pour que le citoyen du monde, préoccupé de l’environnement et de la « responsabilité » des entreprises et de tous les autres acteurs économiques, entre en dépression profonde.

Mon optimisme me porte plutôt à croire, avec André Maurois, que toujours, l’inattendu arrive, et qu’un ou plusieurs événements marquants ou prises de conscience collective interviendront pour changer la situation.

Hormis quelques initiatives isolées et montrées en exemple, la plupart du temps liées à l’économie circulaire, peu de choses ont changé. Et les entreprises « réellement » responsables, pour reprendre ton expression, se comptent sur les doigts d’une main. Pire encore, certaines tentatives de l’économie circulaire sont parfois dévoyées par cette même logique économique et finissent par provoquer des effets néfastes[3].

Mais un jour, le système devra changer et il changera, et les clients aussi. Cela prendra seulement du temps, il faut y croire et continuer de parler de ce sujet, en démasquant les fausses initiatives, les faux-semblants, les blabla et le greenwashing. Surtout, il nous faut continuer à montrer l’exemple du mieux que nous le pouvons, tous autant que nous sommes, dans nos vies personnelles et professionnelles. Les marketeurs responsables ont un rôle primordial à jouer en ce sens.  


[1] https://www.editions-kawa.com/home/265-web-20-15-ans-deja-et-apres-7-pistes-pour-reenchanter-internet-.html

[2] https://dash.harvard.edu/bitstream/handle/1/4455262/zittrain_future of the internet.pdf?sequence=1

[3] https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/16/l-offensive-d-emmaus-pour-contrer-la-concurrence-de-vinted-ou-du-boncoin_6165708_3234.html. On pourrait aussi citer les smartphones reconditionnés qui font le tour du monde, en provenance des USA ou de Chine et finissent dans des ateliers de réparation en Espagne avant d’être revendus chez nous. Une logique circulaire, mais pas forcément vertueuse.